dimanche 13 mai 2012

Titus Burckhardt ou Sidi Ibrahim


Ami personnel de Frithjof Schuon, Titus Burckhardt, né à Florence en 1908 et mort à Lausanne en 1984, compte parmi les grands « ésotéristes » du 20ème en Occident, parce qu’il a développé, dans le sens de sa propre vocation en Dieu, une œuvre originale, toute entière consacrée à l’art, à l’art traditionnel et sacré, naturellement, qu’il a illustré par des ouvrages auxquels il faut sans cesse se référer. Né dans une famille suisse germanique d’artistes et d’historiens de l’art, il aura beaucoup voyagé dans tous les pays du monde arabo-musulman, avec une réelle prédilection pour le Maroc, où il séjournera longuement dans les années 30. Durant ces années, il apprendra aussi l’arabe et se convertira à l’ésotérisme musulman – sous le nom de Sidi Ibrahim. Ceci, avant de rentrer à Lausanne pour y diriger une maison d’édition (Urs Graf Verlag), spécialisée dans la reproduction de manuscrits médiévaux, et pour se consacrer à des traductions, articles et ouvrages : sur l’alchimie, l’astrologie et l’art sacré.
   Pourquoi l’art ? C’est, comme il le dira lui-même, que « l’étude de l’art islamique, comme celle de n’importe quel autre art sacré, peut conduire, lorsqu’elle est entreprise avec une certaine ouverture d’esprit, vers une compréhension plus ou moins profonde des vérités ou réalités spirituelle qui sont à la base de tout un monde à la fois cosmique et humain ». Mais aussi, parce que, selon le mot du prophète de l’Islam, « Dieu est beau et il aime la Beauté » :  « Cette parole du Prophète, écrit-il, ouvre des perspectives illimitées, non seulement pour la vie intérieure, où la beauté aimée par Dieu est avant tout celle de l’âme, mais aussi pour l’art, dont le vrai but, compris à la lumière de cet enseignement prophétique, est de prêter un support à la contemplation de Dieu. Car la beauté est un rayonnement de l’univers, et toute œuvre belle en est un reflet. »
   En 1972, il sera nommé expert auprès de l’UNESCO et sera chargé, jusqu’en 1977, d’un programme de préservation de la médina de Fès.(...)
Source (et suite) du texte : moncelon
Autre biographie : Frithjof Schuon /


Bibliographie (en français) :
- Clef spirituelle de l’astrologie musulmane (1950), Ed. Archè Milan, 1991
- Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam, Ed. Dervy-Livres, 2008.
- Le symbolisme du jeu d'échecs, Paris, 1954.
- Principes et méthodes de l'art sacré (1958), Ed. Dervy poche, 2011.
- L'Alchimie, science et sagesse, Ed. Arche Milan, 1991.
- Du Soufisme, Ed. Derain, 1951.
- Symboles : Recueil d’essais, Ed. Archè Milan, 1991.
- Science moderne et Sagesse traditionnelle, Ed. Archè Milan, 1991.
- L’Art de l’Islam, Ed. Sindbad, 1999.
- Aperçus sur la science sacrée, Ed. Archè Milan, 1991.
- Chartres et la Naissance de la Cathédrale, Ed. Archè Milan, 1995.
- Miroir de l'Intellect, Ed. L'Age d'homme, Delphica, 1992.
- Fès, Ville de l’Islam, Ed. Archè Milan, 2007.
Traduction :
Muhyi-d-din Ibn 'Arabi, La sagesse des prophètes (Fuçuç al-hiram), Albin Michel, 1974.
Abd Karim Al-Jili, De l'Homme universel, Ed. Dervy Livre, 1975.
Al'Arabi Ad-Darqawi, Lettres d'un maître soufi, Ed Archè Milan, 1978
Articles publiés dans la revue Études traditionnelles :
« La genèse du temple hindou », n° de juin/juillet 1953.
« Nature sait surmonter nature », n° 281.
« Je suis la porte », considérations sur l'iconographie des portails d'église romans, n°308.
« Commentaire succinct de la Table d'Emeraude », n° 362.
« Le masque sacré », n° 380.
Autre article :
« La Ka'ba» dans Martin Lings, La Mecque des origines à nos jours, Ed. Tasnim, 2012.


En faveur d'une origine égyptienne de l'alchimie du Proche-Orient et de l'Occident, s'inscrit le fait que toutes une série de procédés artisanaux en relation avec l'alchimie et lui fournissant nombre d'expressions symboliques, surgit comme un groupe cohérent qui se développe depuis les derniers temps de l'Egypte pour apparaître finalement dans des livres de recettes artisanales d'époque médiévale. (....)
On se demandera sans doute, comment l'alchimie, avec son fondement mythologique, a pu s'intégrer aux religions monothéistes : Judaïsme, Christianisme et Islam. C'est que la perspective cosmologique propre à l'alchimie était organiquement liée à l'ancienne métallurgie, de sorte qu'elle fut adoptée avec le métier, simplement comme une science de la nature au sens le plus large du terme, (...)
Du point de vue chrétien, l'alchimie était une sorte de miroir naturel offert aux vérités révélées : la pierre philosophale qui change les métaux viles en argent ou en or, est un symbole du Christ (...) Par son intégration à la foi chrétienne l'alchimie se trouvait spirituellement fécondée tandis qu'elle apportait à la Chrétienté une voie conduisant à la "gnose" à travers la contemplation de la nature.
L'art hermétique pénétra encore plus aisément dans l'univers spirituel de l'Islam. Celui-ci fut toujours disposé, en principe, à reconnaître tout art pré-islamique qui, sous l'aspect de "sagesse", apparaissait comme un héritage des prophètes antérieurs. Ainsi, dans le monde islamique, Hermès Trismégiste est souvent identifié à Enoch (Idris). Ce fut la doctrine de l'"unicité de l'être" - interprétation ésotérique de la profession de foi islamique - qui donna à l'Hermétisme un nouvel axe spirituel, ou en d'autres termes, qui lui rendit toute l'ampleur de son horizon spirituel. (...)
Tout d'abord, l'alchimie pénétra dans le Christianisme occidental par Byzance, ensuite et plus amplement par l'Espagne soumise à la domination arabe. Ce fut dans le monde islamique que l'alchimie atteignit son plus complet épanouissement. (...) Lorsque se produisit, avec la Renaissance, la grande irruption de la littérature grecque, une nouvelle vague de l'alchimie byzantine s'étendit sur l'Occident. Au seizième et dix-septième siècle furent imprimés de nombreux ouvrages alchimiques qui n'existaient jusqu'alors qu'en manuscrit et circulaient plus ou moins secrètement. Grâce à cela l’étude de l'Hermétisme atteignit un nouveau sommet, mais ce fut pour entrer bientôt en décadence. (p.17-19)

Pour les peuples anciens la matière était comme un aspect de Dieu. (...)
C'est seulement pour l'homme moderne que la matière est devenue une "chose" et non plus le miroir passif de l'Esprit. (p.57)

Lorsque nous parlons de l'âme en tant que materia de l'esprit, nous n'entendons pas seulement le tissu de la conscience égocentrique, mais plutôt la capacité passive et réceptive qui se situe à un niveau plus profond et se trouve précisément voilée par l'attachement habituel de l'âme à l'égard des sens. Pour que l'âme en tant qu'ego puisse être intimement mêlée au corps, elle doit subir une fragmentation et, en un certain sens, une "coagulation" qui l'empêche de refléter l'Esprit librement et sans distorsion.
Ce qui correspond à l'âme chaotique sur le plan minéral, c'est l'état du métal vil, en particulier du plomb dont l'obscurité et la pesanteur l'apparentent à la masse brute. Selon le célèbre mystique musulman Muhyi-d-din ibn'Arabi, l'or correspond à la condition saine et originelle de l'âme, qui reflète librement et sans distorsion l'Esprit divin en sa substance tandis que le plomb correspond à l'état d’infirmité, de déformation et de "mort" qui ne reflète plus l'Esprit. La véritable essence du plomb, c'est l'or. Tout métal vil représente une rupture de l'équilibre que l'or seul manifeste pleinement.
Pour libérer l'âme de son état de coagulation et de paralysie, il faut dissoudre la combinaison imparfaite et non équilibrée de sa forma avec sa materia. C'est comme si l'esprit et l'âme devaient être séparés l'un de l'autre, en vue d'un "remariage" après leur "séparation". La matière "brute" est brûlée, dissoute et purifiée pour être finalement "coagula" de nouveau sous la forme d'un cristal parfait.
La "forme" de l'âme, ainsi "née de nouveau", se distingue cependant de l'Esprit universel dans la mesure ou elle apparaît encore à l'existence limitée. Mais elle est, en même temps, transparente à la Lumière indifférenciée de l'Esprit et en vivante union avec la materia primordiale de toutes les âmes, car le fond "matériel" ou "substantiel" de l'âme est un, tout comme son fond essentiel ou actif. Toutes les âmes sont "faites" d'une même "substance", ce dont nous pouvons nous rendre compte par le fait que les "mouvements" (émotions) des âmes de toutes les créatures vivantes - malgré l'immense variété d'aspects et de degrés de conscience - procèdent de la même manière. On peut dire qu'elles sont comme les vagues d'une même mer. (p. 69-70)

Etant matière inerte le métal ne peut symboliser une faculté "cognitive" ou "volitive". Il doit donc, à cause de sa nature statique et amorphe, être l'expression d'un état de conscience similairement statique, c'es-à-dire un état de conscience interne, dépourvu de contours mentaux : c'est précisément la conscience interne du propre corps, sa "forme psychique". De ce métal, l'alchimiste doit extraire "l'âme métallique" et "l'esprit métallique". La conscience corporelle, chaotique et « opaque », enchaînée par les passions et les habitudes, constitue le métal « vil ». En elle, l’âme et l’esprit sont comme étouffés, obscurcis et mêlés à la terre. A l’opposé, la conscience corporelle « illuminée » (le métal « noble ») est en elle-même un mode spirituel d’existence. L’âme doit d’abord être extraite du métal vil, disent les alchimistes. Puis, le résidu corporel doit être purifié par le feu jusqu’à ce qu’il ne soit plus que cendres. Alors l’âme sera de nouveau unie à lui. Lorsque le corps est ainsi « dissous » dans l’âme, de sorte que l’ensemble constitue une pure materia, l’Esprit agit sur l’âme et lui confère une forme impérissable. Autrement dit, il réintègre la conscience corporelle individuelle dans sa forme purement spirituelle où elle reste immuable dans toute sa plénitude et désormais conforme à sa propre essence. Basile Valentin compare cet état au « corps glorieux » de la résurrection. (p.84)

Comme nous l'avons déjà dit, l'alchimie spirituelle, tout en utilisant un symbolisme métallurgique, n'était pas nécessairement liée à des opérations artisanales. On peut supposer toutefois qu'à l'origine, l'oeuvre extérieur et l'oeuvre intérieur allaient de pair, car dans une civilisation orientée vers la fin la plus élevée de l'homme, tout métier est au service d'une voie spirituelle. D'autre part, tout symbolisme authentique se fonde sur une expérience concrète. (p. 89)

"Partout là où il y a du métal" dit Basile Valentin, "il y a Soufre, Mercure et Sel...esprit, âme et corps". Ainsi ces trois puissances ou ces trois principes constituent la nature métallique - ou humaine. Le Sel est en un sens l'élément statique et par conséquent aussi, l'élément neutre du ternaire.
Le Souffre produit la combustion, le Vif-argent l'évaporation, le Sel est la cendre résiduelle et sert à fixer l’esprit "volatil".
La conscience du corps, libérée de toute fièvre des passions, peut servir de "fixatif" ou de support à des états purement spirituels. Ce principe ne se retrouve d'ailleurs pas dans la seule alchimie, - ou disons que toute voie contemplative comporte un principe alchimique dans la mesure même où elle met en valeur cette fonction "naturellement spirituelle" du corps qui renferme ce qu'on pourrait appeler la "sensation de l'être", et c'est cela qui explique en partie le principe opératif dont il s'agit. D'un point de vue plus essentiel, cependant, c'est la nature symbolique du corps qui est en cause : le corps et non pas le mental est l'image directe du macrocosme, il est le "plus bas" qui correspond analogiquement au "plus haut", selon les paroles de la Table d’Émeraude. Ainsi, au dépasse,ment intellectuel du mental fait pendant une intégration "existentielle" du corps dans l'esprit, intégration que rien ne saurait mieux exprimer que la transmutation du plomb en or - ou corps lumineux ou en lumière corporéifiée. (p. 146-7)
Extrait de : Alchimie
Commande sur Amazon : L'Alchimie



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...