vendredi 31 août 2012

Hugo von Hoffmannsthal








Hugo von Hofmannsthal (1874-1929), poète, romancier, essayiste, homme de théâtre et librettiste de Richard Strauss, compte parmi les figures majeures de la littérature autrichienne du début du siècle. Andreas, La Lettre de Lord Chandos, Le Livre des amis et La Femme sans ombre, reflètent les enjeux décisifs de notre modernité.
Source du texte : Ed. Verdier
Autre biographie : wikipedia


Bibliographie en français :
Aux éditions Verdier :
- La Femme sans ombre, 1992
- L’Homme difficile, 1992, 1996 (édition révisée)
- Le Lien d’ombre, 2006
- Jedermann, 2010
Chez d’autres éditeurs :
- L’Incorruptible, trad. Jean-Yves Masson, L’Arche, 1997
- Daniel Defoë, scénario, traduit par J. Y. Masson, in Anthologie du cinéma invisible, sous la direction de Christian Janicot, éd. Jean-Michel PLace, 1995
- Lettre de Lord Chandos et autres textes, traduit et présenté par Jean-Claude Schneider, Gallimard, coll. « Poésie », 1992 (contient les Lettres du voyageur à son retour)
- Correspondance avec Richard Strauss, traduit par Bernard Banoun, Fayard, 1992
- Victor Hugo, traduit par Maria Ley-Deutsch, La Différence, collection « Latitudes », 1990.
- Avant le jour, Poèmes, traduit par Jean-Yves Masson, La Différence, collection « Orphée », 1990
- Le Livre des amis, traduit par Jean-Yves Masson, Maren Sell, collection « Petite Bibliothèque européenne », 1990
- Hugo von Hofmannsthal, textes inédits, études, témoignages, réunis par Jean-Yves Masson, Sud, numéro spécial, 1990
- Venise sauvée, traduit par Sylvie Müller, Actes Sud/Papiers, 1986
- Andreas et autres récits, traduit par Eugène Badoux et Magda Michel, Gallimard, collection « L’imaginaire », 1985
- Lettre à Carl Jacob Burckhard 1919-1929, traduit par Louise Servicen, Gérard Monfort, collection « Imago Mundi », 1982
- Lettre de Lord Chandos et autres essais, traduit par Albert Kohn et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1980
- Le Chevalier à la rose et autres pièces, traduit par Colette Rousselle, Henri Thomas, Jacqueline Verdeaux et Léon Vogel, Gallimard, 1979


Depuis lors, je mène une existence que vous aurez du mal à concevoir, je le crains, tant elle se déroule hors de l’esprit, sans une pensée ; une existence qui certes diffère à peine de celle de mon voisin, de mes proches et de la plupart des gentilshommes campagnards de ce royaume, et qui n'est pas sans des instants de joie et d'enthousiasme. Il ne m’est pas aisé d’esquisser pour vous de quoi sont faits ces moments heureux ; les mots une fois de plus m’abandonnent. Car ce quelque chose qui reste sans nom et ne peut guère en recevoir, se présente à moi en ces instants, déversant comme dans un vase n’importe quelle apparence de mon entourage quotidien, un flot débordant de vie exaltée.  Je ne peux attendre que vous me compreniez sans un exemple et il me faut implorer votre indulgence pour la puérilité de ces évocations. Un arrosoir, une herse à l’abandon dans un champ, un chien au soleil, un cimetière misérable, un infirme, une petite maison de paysan, tout cela peut devenir le réceptacle de mes révélations. Chacun de ces objets, et mille autres semblables dont un oeil ordinaire se détourne avec une indifférence évidente, peut prendre pour moi soudain, en un moment qu’il n’est nullement en mon pouvoir de provoquer, un caractère sublime et si émouvant, que tous les mots, pour le traduire, me paraissent trop pauvres. (...)
Quel rapport y a-t-il, en effet, avec la pitié; quel rapport avec un enchaînement d'idées humaines, naturelles, dans cette aventure d'un autre soir : je trouve sous un noyer un arrosoir à moitié plein qu'un jeune jardinier à oublié là, et cet arrosoir avec l'eau qui est dedans, obscurcie par l'ombre de l'arbre, avec un scarabée allant d'un bord à l'autre à la surface de cette eau sombre, cette conjonction de données futiles m'expose à une telle présence de l'infini, me traversant de la racine des cheveux à la base des talons, que j'ai envie d'éclater en paroles dont je sais, les eussé-je trouvées, qu'elles auraient terrassé ces chérubins auxquels ne ne crois pas; je me détourne de de lieu, en silence, puis, des semaines plus tard, apercevant ce noyer, passe près de li avec un timide regard de côté pour ne pas effaroucher le sentiment laissé par le miracle qui souffle là, autour du tronc, ne pas chasser ces frissons autres que terrestres pesant encore dans le voisinage de ces broussailles. En de tels instants, une créature sans valeur, un chien, un rat, un insecte, un pommier rabougri, un chemin de terre tortueux escaladant la colline, un caillou couvert de mousse comptent pour moi davantage que n'a jamais fait l'amante la plus belle, la plus prodigue de la plus heureuse de mes nuits. Ces créatures muettes et parfois inanimées s'élancent vers moi avec un amour si entier, si présent, que mon regard comblé ne peut tomber sur aucune surface morte. Tout, tout ce qui est, ce dont je me souviens, tout ce à quoi touchent mes pensées les plus confuses, me semble être quelque chose. Même ma propre pesanteur, l’engourdissement habituel de mon cerveau me semblent être quelque chose; je sens un affrontement délicieux, tout simplement infini, en moi et autour de moi, et parmi les matières qui s'affrontent il n'en est aucune dans laquelle je ne puisse me glisser. J'ai alors l'impression que mon corps est constitué uniquement de caractères chiffrés avec quoi je peux tout ouvrir. Ou encore que nous pourrions entrer dans un rapport nouveau, mystérieux, avec toute l'existence, si nous nous mettions à penser avec le coeur. Mais quand cet étrange enchantement m'abandonne, je ne sais plus rien en dire à son sujet; je ne pourrais pas davantage alors expliquer au moyen de paroles raisonnables en quoi consistait cette harmonie qui nous traversait, le monde entier et moi, de son flottement suspendu, ni comment elle m'est devenue sensible, que je ne saurais donner l'indication exacte sur les mouvements internes de mes entrailles ou les stases de mon sang. (...)
Extrait de : Lettre de Lord Chandos
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Coré (Jeune fille, Musée du Parthénon)

Il y avait là des statues, des corps de femmes aux vêtements longs. Elles formaient un demi-cercle autour de moi, inconsciemment je tirai le rideau devant la porte et me retrouvai seul avec elles. Dans le calme parfait, saturé de vie, elles semblaient avoir les yeux baissés sur elles-mêmes, ou fixer un point devant elles, mais elles ne me voyaient pas. Et pourtant - c'était peut-être la dernière chose dont j'avais pris conscience à la seconde où j'étais entré, avant de ressentir une impression tout autre - les yeux avaient un regard - cela pouvait provenir de la vie merveilleuse qui animait leur lèvre supérieure et se prolongeait vers la racine du nez pour aller se perdre en gravité sublime sous les yeux.
C'est dans cet instant que cela eut lieu : une frayeur sans nom, qui ne venait pas de l'extérieur, mais de quelque part aux confins reculés d'un abîme intérieur; c'était comme un trait de foudre : la salle, telle qu'elle était, quadrangulaire, avec ses murs blanchis à la chaux et les statues qui la peuplaient, fut remplie un moment d'une lumière bien plus forte que celle qui y régnait vraiment; les yeux des statues étaient soudain dirigés sur moi et un sourire absolument indicible se dessinaient sur leur visage. La minute se chargeait pour moi d'un contenu particulier : je comprenais ce sourire parce que, je le savais, je ne le voyais pas pour la première fois; d'une manière quelconque, dans un monde indéterminé, j'avais déjà été au milieu d'elles, j'avais avec elles entretenu certaines relations et depuis lors tout cela en moi avait attendu cette frayeur intense, il me fallait me rencontrer en moi de cette manière si terrible pour que je redevienne celui que j'avais été. (...)
Extrait de : Instants de Grèce
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6 Monologues from Jedermann de Frank Martin :




(...)





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