mardi 18 septembre 2012

Marie Jean Léon d'Hervey de Saint Denys


Marie-Jean-Léon Le Coq, baron d'Hervey de Juchereau, marquis de Saint-Denys, né le 5 mai 1822 à Paris où il est mort le 2 novembre 1892, est un sinologue français, connu surtout pour ses recherches sur le sommeil et les rêves, et les rêves lucides en particulier. (...)
Dès l’âge de 14 ans, Hervey de Saint Denys avait tenu un journal de nuit dans lequel il notait ses rêves au réveil. Il pensait tout d’abord y trouver matière à faire des dessins originaux, puis il découvrit que les rêves constituaient un sujet intéressant à étudier pour eux-mêmes. En même temps qu'il notait ses observations, il lisait tous les ouvrages, tant anciens que modernes, qu’il pouvait trouver sur le sujet. En 1855, il songea à proposer un mémoire sur la théorie du sommeil et des rêves à l'Académie des inscriptions, mais finalement y renonça. Ce n’est qu’en 1867 qu’il fait paraître anonymement son ouvrage, Les Rêves et les moyens de les diriger. Sous-titré Observations pratiques, c’est un livre profondément original en ce sens qu'il est né sur ses propres observations sur les rêves, commencées dans l’adolescence et poursuivies pendant de nombreuses années.
Source (et suite) du texte : wikipedia
Autre biographie : 

Hervey de Saint-Denys, le marquis rêveur : Cles


Bibliographie :
- Les Rêves et les moyens de les diriger. Observations pratiques (1867), Ed. Cartouche, 2007
En ligne :
- Les Rêves et les moyens de les diriger : reves.ca



Le premier rêve où j’eus, en dormant, ce sentiment de ma situation réelle se place à la deux cent septième nuit de mon journal; le second, à la deux cent quatorzième. Six mois plus tard, le même fait se reproduit deux fois sur cinq nuits, en moyenne. Au bout d’un an, trois fois sur quatre. Après quinze mois, enfin, sa manifestation est presque quotidienne, et, depuis cette époque déjà si éloignée, je peux attester qu’il ne m’arrive guère de m’abandonner aux illusions d’un songe sans retrouver, du moins par intervalles, le sentiment de la réalité. (Extrait du ch. 2 de la 1e partie)

A défaut de meilleure méthode, celle que j’adopterai sera donc celle-ci:
Rappelant d’abord quelques points capitaux sur lesquels nous venons de voir que la controverse s’était surtout exercée, je commencerai par grouper ensemble des observations tendant principalement à démontrer:
1° Qu’il n’est point de sommeil sans rêve;
2° Que ni l’attention, ni la volonté ne demeurent nécessairement suspendues pendant le sommeil.
Et, ces premières divisions faites, je chercherai ce que l’expérience peut nous enseigner sur la marche et le tissu des rêves, comme sur les moyens de les évoquer ou de les conduire; sans attacher d’ailleurs à la classification de ces notes plus d’importance qu’il ne convient dans un livre où l’auteur a moins en vue d’ériger un système, que de réunir des documents précis pour une science à venir. (...)

Vous rêvez, je suppose, que vous êtes dans un jardin; vous avez conscience de votre rêve, et vous admirez avec quelle netteté comme avec quelle vivacité de couleurs le miroir magique de votre mémoire reproduit tous ces arbres, ces fleurs, ces plantes qui semblent vous entourer. Si rien n’altère la pureté de ces illusions, le rêve se poursuit, se modifie au gré de l’association des idées, et le bois disparaît pour faire place à quelque autre tableau non moins net; mais si vous voyez pâlir et s’embrouiller aux yeux de votre esprit les images de ces arbres, de ces plantes, de ces fleurs, tout à l’heure si distinctes, vous pouvez tenir pour certain que votre sommeil se dissipe. Laissez l’effet se produire, et quelques instants plus tard vous serez complètement réveillé. Préférez-vous diriger l’expérience dans la voie opposée? Affectez de garder (en rêve) une immobilité complète, et concentrez fortement votre attention sur l’un des menus objets dont l’image n’a point disparu, une feuille d’arbre par exemple. Cette image retrouvera peu à peu toute la netteté qu’elle avait perdue, vous verrez renaître graduellement la vivacité des contours et de la couleur, comme il en serait d’une image dans la chambre noire, à mesure que vous l’amèneriez au point. Quand vous en serez revenu à distinguer clairement les petits détails, vous pourrez mettre fin à cette contemplation momentanée, et promener de nouveau les yeux de votre esprit sur les illusions qui vous entourent. Le rêve aura repris son cours; le réveil immédiat sera conjuré. (Extrait du ch. 1, 3e partie)

Une nuit enfin que je rêvais me promener dans la rue, que toutes les images de mon rêve étaient bien nettes et que je sentais parfaitement néanmoins que je n’étais pas éveillé, je me souvins tout à coup de l’expérience à faire, je montai aussitôt jusqu’à l’étage supérieur d’une maison qui me paraissait très haute ; je vis une fenêtre ouverte, et le pavé à une grande profondeur; j’admirai un instant la perfection de cette illusion du sommeil, et, sans attendre qu’elle s’altérât, je me précipitai dans le vide, plein d’une anxieuse curiosité. Or, voici ce qui arriva et ce dont je ne me rendis compte, naturellement, qu’après que je me fus éveillé. Perdant instantanément le souvenir de tout ce qui précède, je me crus sur le parvis d’une cathédrale, mêlé à un groupe de curieux qui se pressaient autour d’un homme tué. On racontait autour de moi que cet inconnu s’était jeté du haut de la tour de l’église, et je vis emporter le cadavre sur un brancard. C’est ainsi que ma mémoire et mon imagination s’étaient tirées du piège que je leur avais tendu. C’est ainsi que l’association des idées-images avait procédé. (Extrait du ch.2, 3e partie)






Le fond de tableau de mon rêve m’ayant représenté une rue que je reconnus pour être une rue de Séville, où je n’avais pas été depuis dix ans, et le souvenir m’étant aussitôt revenu qu’au détour de cette rue devait se trouver la boutique d’un glacier des plus renommés, j’eus la curiosité de savoir comment se tirerait ma mémoire d’une épreuve qui consisterait à diriger mon rêve de ce côté. Je pris donc le chemin qu’il fallait prendre. Je revis la boutique avec une netteté minutieuse; j’y reconnus toute sorte de petits gâteaux de formes particulières et, entre autres rafraîchissements, des sorbets au lait de noisette, préparation que je n’avais jamais rencontrée ailleurs. Je réfléchis alors que l’occasion était précieuse pour vérifier si je saurais me remémorer une saveur aussi fidèlement que je me remémorais des images. Je choisis un de ces sorbets imaginaires. J’y portai mes lèvres, je mis toute mon attention à le bien déguster, et je reconnus ainsi que ma mémoire en défaut ne me fournissait que par à peu près la sensation qui lui était demandée. C’était un goût d’amande, et non pas un goût de noisette qu’elle retrouvait. Je m’éveillai aussitôt, par un effort de volonté, afin de prendre note de ce fait qui me paraissait intéressant quant à l’étude des phénomènes de la mémoire, et qui ne l’était pas moins en ce qui concerne l’exercice, en rêve, des facultés d’être attentif, de raisonner et de juger. (Extrait du ch. 3, 3e partie)

Cette nuit, j’ai rêvé que mon âme était sortie de mon corps, et que je parcourais d’immenses espaces avec la rapidité de la pensée. Je me transportais d’abord au milieu d’une peuplade sauvage. J’assistais à un combat féroce, sans courir aucun danger puisque j’étais à la fois invisible et invulnérable. Je dirigeais de temps en temps mes regards vers moi-même, c’est-à-dire vers la place où mon corps eût été si j’en avais eu un, et je m’assurais bien que je n’en avais plus. L’idée me vint de visiter la Lune, et je m’y trouvai tout aussitôt. Je vis alors un sol volcanique, des cratères éteints et d’autres particularités, reproduction évidente de lectures que j’ai faites ou de gravures que j’ai vues, singulièrement amplifiées et vivifiées toutefois par mon imagination. Je sentais bien que je rêvais, mais je n’étais point convaincu que ce rêve fût absolument faux. L’admirable précision de tout ce que je contemplais m’inspirait la pensée que peut-être mon âme avait momentanément quitté sa prison terrestre, ce qui ne serait pas plus merveilleux que tant d’autres mystères de la création. Quelques opinions d’anciens auteurs sur ce sujet me revinrent en mémoire, et ensuite ce passage de Cicéron:
Si quis in cœlum ascendisset, ibique solem, et lunam, et sidera prope vidisset, hoc tamen sibi injucundum fore, ni aliquem qui narraret habuisset.
Je souhaitai immédiatement de revenir sur la terre; je me retrouvai dans ma chambre. J’eus un moment l’étrange illusion de regarder mon corps endormi, avant d’en reprendre possession. Bientôt, je me crus levé, la plume à la main, notant minutieusement tout ce que j’avais vu. Je m’éveillai, enfin, et mille détails tout à l’heure très nets s’effacèrent presque instantanément de ma mémoire. (Extrait du ch. 8, 3e partie)

Résumé et conclusion :
Jetons un regard en arrière, et puis nous fermerons ce volume qui pourrait s’étendre beaucoup encore, mais qui me semble déjà bien long.
Rappelons en peu de mots ce que nous avons essayé d’établir, et quant à la psychologie du rêve en général, et quant aux moyens pratiques d’évoquer ou d’écarter en dormant certaines idées-images, de guider l’esprit dans ses mouvements spontanés ou volontaires, et de conduire enfin ses rêves au gré de ses désirs.
Nous avons dit que nous ne croyions pas au sommeil de la pensée, que nous ne regardions l’exercice d’aucune faculté comme suspendu par le sommeil, que si l’attention était parfois difficile, la volonté affaiblie et les jugements erronés chez l’homme endormi, l’imagination, la mémoire, la sensibilité acquerraient en revanche une puissance d’expansion énorme; de telle sorte que si l’état de rêve ne permet pas de garder ce juste équilibre intellectuel indispensable pour accomplir une œuvre d’esprit en tout point raisonnable, il peut ouvrir du moins, sur le monde idéal, des horizons inconnus dans la vie réelle.
Trois conditions essentielles ont été indiquées pour arriver à se rendre maître des illusions de son sommeil:
1° Posséder en dormant la conscience de son sommeil, habitude qui s’acquiert assez promptement par le seul fait de tenir un journal de ses rêves;
2° Associer certains souvenirs au rappel de certaines perceptions sensoriales, de manière que le retour de ces sensations, ménagé pendant le sommeil, introduise au milieu de nos songes les idées-images que nous en avons rendues solidaires ;
3° Ces idées-images contribuant dès lors à former les tableaux de nos rêves, employer la volonté (qui ne fera jamais défaut quand on saura bien que l’on rêve), pour en guider le développement selon l’application du principe que penser à une chose, c’est y rêver.
Une odeur, une saveur, un contact, un motif musical ont évoqué le souvenir imagé d’une personne ou d’un site. J’ai le sentiment que je rêve, je dirige le mouvement de mes idées sur une route que moi-même je lui ai tracée. Je rêve donc, comme je veux, à ce que j’ai voulu.
La conduite des rêves et la fabrication de la poudre sont des choses qui ne semblent guère de nature à être mises en parallèle. Je n’ai point surtout la prétention d’assimiler les mérites de leur invention respective. Je dirai toutefois qu’il en est un peu des trois éléments psycho-physiologiques ci-dessus indiqués, comme du salpêtre, du soufre et du charbon, ces trois éléments d’une autre sorte. Isolés, ils n’ont rien qui étonne; combinés, ils produisent des effets surprenants.
Une affirmation purement théorique des vertus de la poudre eût été certainement accueillie jadis avec une incrédulité bien grande, et je ne saurais exiger par anticipation plus de confiance dans le résultat des moyens que je propose pour maîtriser les illusions du sommeil. Qu’on veuille bien cependant suivre mes indications précises; qu’on mette de la persévérance à contrôler sciemment ce qu’elles valent, et j’accepte volontiers par avance le jugement qu’on en portera.
Ici, je prévois une objection ou réflexion de quelques esprits positifs. A supposer, penseront-ils, que l’expérience confirme pleinement tout ce qui vient d’être avancé, que chacun soit maître de régler ses rêves et de soumettre pendant la nuit son imagination à sa volonté, quelles seront les conséquences de cette découverte, et quelle en sera l’utilité?
Il me serait permis de répondre à cela que chacun trouvant utile ce qui l’intéresse, le seul résultat de pouvoir rêver à ce que bon lui semble sera jugé de soi-même fort utile par qui conque y prendra son plaisir. Mais je n’entends pas, je n’ai jamais entendu réduire aux proportions d’un simple amusement une méthode applicable aux progrès de la science, autant qu’aux inspirations de la fantaisie. Je rappellerai donc ici que j’ai insisté plus d’une fois, en m’adressant aux médecins et aux psychologues, sur la part d’intérêt que cette méthode doit leur offrir.
Un dernier mot enfin, avant de déposer la plume, pour protester contre cette éternelle comparaison du sommeil et de la mort dont les auteurs anciens et modernes ont fait un si étrange abus. Que ce soit au point de vue matériel ou bien au point de vue matérialiste qu’on l’envisage; que ce soit l’apparence d’un cadavre que l’on veuille chercher dans l’aspect d’un homme endormi, ou bien un exemple de l’anéantissement possible du Moi qu’on imagine trouver dans une absence momentanée de la pensée, une telle comparaison est également fausse à tous égards.
N’est-ce point d’ailleurs une idée bizarre que celle de prétendre comparer une situation qu’on ne connaît guère, avec un autre état qu’on ne connaît pas?
Je préfère de beaucoup le vieil axiome qui nous dit: La vie est un songe. A ceux pour qui c’est un songe pénible, elle laisse du moins l’heureuse pensée de se réveiller dans la mort.
Extrait de : Les rêves et les moyens de les diriger
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Source du texte : reves.ca





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