mardi 13 novembre 2012

Le Cogito de Jourdain

Le penseur de Rodin


Visser cet écrou-là, et peut-être ne pas mourir...
JE ME SAIS.
Je réfléchis : JE ME SAIS réfléchissant. Je me dis : "tiens..." : JE ME SAIS me disant "tiens...". J'ai une idée ! : JE ME SAIS ayant une idée. Je sens, ressens : JE ME SAIS sentant, ressentant. Je jouis : JE ME SAIS  jouissant. Je recherche la conscience de moi-même : JE ME SAIS recherchant la conscience de moi-même.
Je ne veux à aucun prix être conscience : JE ME SAIS  ne voulant à aucun prix être conscient.
J'abandonne la piste de la conscience : JE ME SAIS abandonnant la piste de la conscience.
Il n'est rien de ce que nous faisons et vivons qui ne soit devancé par JE ME SAIS. Ce constat intellectuel lui-même, si juste et important soit-il, s'adosse à JE ME SAIS, ce qui ne relativise pas nécessairement sa justesse et son importance mais, sûrement, son existence ! Mais que resterait-il de cette remarque si JE NE ME SAVAIS la faisant ?
"Je me sens pris de vertige !" Soit. Mais, de ce saint vertige que resterait-il si JE NE ME SAVAIS l'éprouvant ?
Il n'y a absolument rien à déduire de ce fait premier de l'existence, que toute mon existence est devancée, par JE ME SAIS, - et pas même cela.
Il n'y a ni issue logique ni impasse logique.
"Alors, bon Dieu, qu'est-ce que je puis faire ?" ME SAVOIR poussant cette exclamation.
La seule relation que je puisse établir avec la conscience, c'est de la pratiquer, de l'assumer, de l'être.

On pourrait dire aussi, mais de manière plus lointaine et imparfaite, que la conscience est le miracle par lequel mon être intérieur s’apparaît à lui-même. Ou encore, évoquer la conscience comme la transparence à elle-même de ma propre présence.
Tout ce que je pourrais ajouter va m’apparaître comme de la sauce inutile, aussi j'arrête là.
Tout de même, je désire ajouter ceci : la conscience apparaît bien comme la vrille logique jusqu'à atteindre l'être et à le faire être.
Stephen Jourdain, Le Grand plongeon, Conférences à la Sorbonne, Ed. Le Mercure Dauphinois, 2000. (extrait du chap. 5).
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* * *

Cette expérience cruciale, je  l’ai faite à brûle-pourpoint quand j’avais seize ans.

C’était le soir, j’étais dans ma chambre, allongé dans l’obscurité, et je tournais et retournais dans ma tête depuis un long moment, probablement depuis une demi-heure, la petite phrase du Cogito de Descartes : « Je pense, donc je suis ». Il m’avait semblé, dans les jours précédents, entrevoir une prodigieuse vérité dans cette petite phrase, et j’essayais de retrouver cette vérité entrevue dans un éclair. Je réfléchissais depuis très longtemps, en me répétant inlassablement : « je pense, donc je suis », et en faisant chaque fois le voyage depuis la réalité vivante qui en moi-même correspondait à « je  pense » et « je suis » jusqu’à ces mots, pour les charger, dans la petite phrase, de leur vrai sens. En m’efforçant de penser le Cogito avec ma vie. C’était un travail très difficile, j’étais épuisé, le déclic qui m’aurait révélé la signification mystérieuse et prodigieuse de la phrase ne se produisait pas, mais, à un certain moment, un autre déclic, que je n’attendais pas, dont je ne soupçonnais pas l’existence, a dû jouer, et, en une fraction de seconde, sans que j’aie l’impression d’une césure, dans la foulée, je me suis trouvé dans un arrière-plan impossible et tout à fait inconcevable de ce « je » qui pensait. L’entrée dans cet arrière-plan est l’expérience autour de laquelle gravite Cette Vie m’aime. (...)

Je pense qu’en effet il peut très bien exister une parenté entre ce que Descartes touchait dans le Cogito et mon expérience. Il est certain que le Cogito est plus qu’une évidence intellectuelle, c’est une percée. Tout de même, je puis affirmer que l’expérience qui se cache derrière cette phrase n’est pas la mienne. Ne serait-ce que parce que celui qui a vécu mon expérience ne peut plus sérieusement faire œuvre de philosophe, et cela, bien qu’il estime détenir avec cette conscience l’unique point de départ possible de la pensée philosophique (!), et la seule chance de cette pensée. (...)
Source (et suite) du texte : 3e Millénaire

* * *

MAJ de la page Stephen Jourdain avec un dialogue entre Stéphane Jourdain, Denise Desjardins (femme de Arnaud Desjardins) et Giles Farcet :




Nouvelle publication : Le Miracle d'être, entretiens avec Charles Antoni, Ed. Charles Antoni, L'Originel, 2012.

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