lundi 3 décembre 2012

Etudes sur Maître Eckhart


Image de Shawn van Eeden


MAJ des pages : Fernand Brunner / Maître Eckhart

Avec une nouvelle parution (posthume) :
Fernand Brunner, Etudes sur Maître Eckhart, Ed. Hermann, 2012

Les deux thèses : "il faut se détacher de tout ce qui n'est pas Dieu" et "la créature est néant", en impliquent une troisième, la plus célèbre de la doctrine eckartienne, mais aussi la plus difficile : il s'agit de la thèse qui concerne la nature de l'âme où se réalise, grâce au détachement, l'unité avec Dieu. Elle est d'autant plus malaisée que le Maître lui a donné une grande variété de formulations. Partons de celle qu'on découvre dans la Predigt 12 : "Il est quelque chose dans l'âme, qui est si apparenté à Dieu que cela est un (avec lui) et non pas (seulement) uni (à lui). Cela est un, cela n'a rien de commun avec rien et n'a rien de commun non plus avec tout ce qui est créé (...). Si l'homme était tout entier ainsi, il serait totalement incréé et incréable". Que peut bien vouloir dire cette affirmation d'un quelque chose d'incréé dans l'âme créé ? Voilà un paradoxe encore plus grand que celui qui consiste à proclamer le néant de la créature : on comprend que celle-ci soit un quasi-néant et même en un sens un néant pur, mais comment sera-t-elle incréé, même en son plus haut niveau ? La pensée moyenne n'arrivera jamais à le comprendre, et on ne voit pas d'abord comment celle qui a le goût des extrêmes pourra y parvenir. Eckhart, semble-t-il, ne s'est pas expliqué à ce sujet comme il l'a fait à propos du néant des créatures. Il a dit avec toute la netteté désirable qu'il n'a jamais voulu enseigner qu'une partie de l'âme de la créature, fût-ce l'âme ou une partie de l'âme, n'est pas créature. (1) 
Mais alors comment l'âme créée pourra-t-elle ne faire qu'un avec son créateur ? Qu'est-ce qui en elle pourra connaitre Dieu ? Nous sommes manifestement en présence d'un noeud de la doctrine, et une pièce indispensable à son fonctionnement nous manque. Si l'on ne peut comprendre comment l'homme est un avec Dieu, la doctrine du détachement radical perd son sens. 
La réponse constante de Maître Eckhart à cette difficulté, c'est-à-dire que l'homme connait Dieu par Dieu et non par lui-même, puisqu'il s'est abandonné : "Si Dieu doit être vu, il faut que ce soit dans une lumière qui est Dieu lui-même (2)" C'est en effet la seule réponse logique, puisque l'union à Dieu ou la connaissance de Dieu ne saurait avoir lieu dans la différence : il faut comprendre que Dieu est un avec lui-même dans la connaissance que l'homme détaché prend de lui. Autrement dit, la créature détachée n'est plus créature, parce que, dans la créature détachée, devenue néant pour elle-même, la créature a disparu, mais Dieu reste. Tel est le sens de la doctrine eckhartienne du fond de l'âme. Le lien entre les thèmes de la néantisation et du fond de l'âme est manifesté par des textes tels que celui-ci : "C'est le propre de la créature de faire quelque chose à partir de quelque chose, mais c'est le propre de Dieu de faire quelque chose à partir de rien. Si donc Dieu doit faire quelque chose en toi ou avec toi, tu dois auparavant être devenu néant. Retourne donc en ton propre fond et là agis, et les oeuvres que tu opères là sont toutes vivantes (3)." En atteignant son propre néant, l'homme atteint son fond, ce grunt de l'âme, qui ne fait qu'un avec le grunt de Dieu et dans lequel se consomme son unité avec Dieu par la naissance du Fils en lui et par la présence en lui de l'insondable Déité elle-même. Puisque le juste nait de Dieu, il est en vérité, c'est-à-dire en son fond qui est son néant, identique au Fils de Dieu, et l'action intradivine s'opère en lui. 

Mais si, en l'homme, Dieu connait Dieu, l'homme ne connait plus Dieu, et nous retombons sur le paradoxe que nous rencontrions plus haut : pour s'unir à Dieu, l'homme doit se perdre, il est uni à Dieu quand il n'est plus : il n'est donc pas non plus uni à Dieu. La logique conduirait-elle le discours eckhartien à la contradiction ?
1. cf. Théry, Ahdlma, I, p.201, 209-211, 214).
2. Pr. 71, DW, III, 214, 6, Anc-Hust. III, 75.
3. Pr. 39, DW, II, 256, 1, Anc-Hust. II, 577, Cf. Pr. 28, DW, II, 66, Anc-Hust. I, 233-234.

Extrait de : Etudes sur Maître Eckhart, ("Eckhart ou le goût des positions extrêmes").

Quatrième de couverture : Ed. Hermann
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