lundi 12 octobre 2015

Arabie Saoudite, Théâtre de Dupes



Pierre Conesa : Arabie Saoudite, Théâtre de Dupes, Stratégie planétaire (Thinkerview, 2015)

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Amnesty demande l’arrêt des ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, suspectée de crimes de guerres au Yémen
Par Rachel Knaebel, le 12 octobre 2015"- Bastamag

Amnesty international accuse l’Arabie Saoudite et les forces de la coalition arabe qui interviennent au Yémen de bombarder délibérément les villes densément peuplées, et donc les populations civiles. Plus de 2000 civils et des centaines d’enfants auraient péri depuis le début des opérations, il y a sept mois. Le royaume saoudien utilise également des bombes à sous-munitions interdites par une convention internationale. Cela ne semble pas empêcher l’Allemagne, les Etats-Unis ou la France de continuer de lui vendre des armes, en violation des traités signés.

Depuis mars 2015, l’Arabie Saoudite mène une opération militaire au Yémen pour contrer les rebelles houthistes et soutenir le gouvernement régulier. Amnesty International avait déjà alerté avant l’été sur les nombreuses victimes civiles du conflit, touchées à la fois par des tirs de la coalition et par ceux des insurgés houthistes. Le 7 octobre, l’ONG a publié un nouveau rapport sur les victimes civiles de cette guerre oubliée du Yémen. « Depuis le 25 mars 2015, plus de 4000 personnes ont été tuées dans le conflit yéménite. La moitié d’entre eux sont des civils, dont des centaines d’enfants », rappelle Amnesty. Dans ce ce nouveau rapport, l’ONG documente plus précisément treize bombardements menés par la coalition menée par l’Arabie saoudite [1]. Ceux-ci ont eu lieu entre mai et juillet. Selon l’enquête réalisée sur place par Amnesty, ces frappes ont tué quelque 100 civils, dont plus de 50 enfants.

« J’étais près de la rivière et revenais chez moi quand nos maisons ont été bombardées, à environ 10 heures du matin. Ça a été un massacre », a témoigné à Amnesty Ali Qassem Salah al-Shayba, marchand d’animaux et père de quatre enfants. « J’ai perdu mon fils de quatre ans Hassan, et ma fille de 12 ans Taysir ; ma mère Munawwar, ma sœur Aziza et sa fille de six ans Salsabil ; le fils et la fille de mon frère, Mohammed et Yousea, âgés de neuf et 16 ans, et ma cousine Shama’a et ses trois filles, Atkaf, Zahra et Batul, âgés d’un, trois et six ans. Ma femme et mon autre fils de quatre ans ont été blessés, comme ma nièce de 16 ans. » La famille al-Shayba vivait dans un groupe d’habitation au nord-ouest de la ville de Saada. Le 4 juin, quatre frappes aériennes consécutives ont touché leurs maisons. Onze membres de la famille sont morts, dont huit enfants et trois femmes.

Dans les décombres des habitations, Amnesty a trouvé des fragments de bombes de type MK 80, fabriqué par l’entreprise états-unienne General Dynamics. « Ces bombes ont été systématiquement utilisées par les forces de la coalition saoudienne », précise l’ONG. « Comme pour beaucoup d’autres frappes aériennes de la coalition, il n’y avait pas d’objectif militaire évident sur le site ou dans les environs du lieu touché par ces frappes multiples, dont les victimes étaient toutes des enfants et des femmes », indique le rapport. Selon les conclusions de l’ONG, ce sont les frappes aériennes de la coalition qui ont causé le plus grand nombre de victimes parmi la population civile durant le conflit au Yémen. Le rapport dénonce « le mépris pour la vie des civils » dont fait preuve la coalition militaire conduite par l’Arabie saoudite. Celle-ci « a désigné comme cibles militaires, en violation du droit international, les villes de Saada et de Marran, où vivent des dizaines de milliers de civils ».

Des civils visés par des frappes multiples

« Le fait que de larges zones à forte densité de population soient désignées comme cibles militaires et que des habitations civiles soient ciblées de manière répétée montre que les forces de la coalition ne prennent pas les précautions nécessaires pour épargner les civils, comme l’exige le droit international humanitaire », a déclaré Donatella Rovera, qui a conduit la mission d’Amnesty au Yémen. Selon l’ONG, de nombreuses frappes de la coalition saoudienne sont donc illégales. Certaines pourraient même constituer des crimes de guerre.

Amnesty accuse aussi la coalition d’utiliser des bombes à sous-munitions, également fabriquées par des firmes états-uniennes (Aerojet et Honeywell) : « Les chercheurs d’Amnesty International ont retrouvé les restes de deux types de bombes à sous-munitions, les sous-munitions BLU-97 et leurs disperseurs (CBU-97), et les CBU-105, armes sophistiquées amorcées par capteur. Les bombes à sous-munitions, prohibées par le droit international, dispersent d’innombrables petites bombes sur une large zone. ». L’utilisation des armes à sous-munitions est interdite par une convention de l’ONU depuis 2010.

L’ONG demande l’ouverture d’une enquête internationale indépendante sur le conflit au Yémen. Et appelle à suspendre les transferts d’armes vers l’Arabie saoudite, notamment ceux de bombes, d’avions de chasse, d’hélicoptères de combat et de pièces et composants associés. « Les États qui exportent des armes à l’une des parties du conflit au Yémen sont tenus de veiller à ce que les transferts qu’ils autorisent ne facilitent pas de graves violations du droit international humanitaire », souligne Amnesty.

Comme Basta ! le rappelait en juin (Voir notre article), l’Arabie saoudite est l’un des plus grands importateurs d’armes au monde [2]. Parmi ses plus gros fournisseurs se trouvent les États-Unis et le Royaume Uni, mais aussi l’Allemagne et la France.

Des transferts d’armes prohibées par le Traité sur le commerce des armes ?

L’Arabie Saoudite est le plus gros client des fabricants d’armes français en terme de volume financier des contrats. À lui seul, le royaume saoudien a passé plus de 3 milliards d’euros de commandes en 2014. Entre 2013 et 2014, l’Arabie saoudite a par exemple importé ou commandé à la France des missiles anti-aériens, des canons, des missiles anti-chars ou encore des blindés [3].

Les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite se sont-elles poursuivies depuis le début du conflit yéménite ? Oui, si l’on en croit les réponses des gouvernements britannique et allemand aux inquiétudes de leurs parlementaires. Entre le 15 mars et le 1er juillet 2015, le Royaume Uni a approuvé 37 licences d’exportations d’armes à l’Arabie saoudite [4]. En avril 2015, l’Allemagne a de son côté autorisé la vente à l’Arabie Saoudite de diverses composantes d’équipements militaires pour un montant de plus de 12 millions d’euros, selon la réponse apportée par le gouvernement allemand à un député de Die Linke (gauche) en mai dernier.

« Tous les États ont la responsabilité légale de contrôler les transferts d’armes et de les prohiber dans certaines circonstances », rappelle Amnesty. L’article 6 du Traité sur le commerce des armes [5], qui est entré en vigueur fin 2014, stipule en effet qu’un État ne doit autoriser aucun transfert d’armes « s’il a connaissance que ces armes pourraient servir à commettre des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels ».

Rachel Knaebel

Lire aussi :
Ces pays vendeurs d’armes qui profitent bien de l’instabilité du monde et du regain des tensions

Notes
[1] Les autres membres ce la coalition sont le Bahreïn, l’Égypte, la Jordanie, le Kuwait, le Maroc, le Qatar, le Soudan et les Émirats arabes unis. Les États-Unis et le Royaume Uni ont fournir un appui logistique et de renseignement.
[2] Le deuxième plus gros importateur au monde sur la période 2010-2014. Voir le rapport annuel de l’ONG de référence sur la question du commerce des armes, le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).
[3] Source : base de données de SIPRI.
[4] Source : UK Parliament, Arms Trade : Saudi Arabia : written question-3711.
[5] Voir le texte du Traité ici.

Source : Bastamag

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MAJ
Grands principes humanistes ou gros contrats à 10 milliards: le grand écart français
Par Catherine Frammery, le 13 octobre 2015 - Le Temps

La France vient d'annoncer 10 milliards d'euros de contrats avec l'Arabie Saoudite. Mais comment en même temps faire des affaires avec un pays sanguinaire et défendre les droits de l'homme?

«Significatifs». Le mot, manifestement utilisé lors d’un briefing destiné aux journalistes couvrant la visite à Riyad du premier ministre français, Manuel Valls, accompagné d’une importante délégation d’industriels français, se retrouve partout dans la presse hexagonale aujourd’hui: la France est venue signer des contrats «significatifs» avec l’Arabie saoudite. Elle a réussi: Manuel Valls l'a annoncé cet après-midi.

Cela signifie que la France revient avec une montagne de contrats juteux. Un signe qui ne trompe pas: la visite française est surtout traitée dans les pages économiques des journaux. «Des accords importants dans l’aéronautique, notamment avec Airbus Helicopters, devraient être conclus mardi à Riyad, en marge d’un forum d’affaires franco-saoudien»: Capital passe en revue ces «gros contrats en vue». La Tribune fait l’inventaire précis des «neuf dossiers en suspens entre la France et l’Arabie» saoudite. «Selon des sources concordantes, les Saoudiens seraient prêts à acheter à Airbus Helicopters une trentaine de Super Puma AS332 C1e, un appareil lancé en 2012 et acheté par la Bolivie fin 2013. Ce qui serait pour la filiale hélicoptériste d’Airbus une bouffée d’oxygène tant les commandes ont d mal à se concrétiser en 2015 en dépit de belles annonces restées vaines pour l’heure au Qatar, au Koweït et en Pologne. Le groupe Airbus pourrait également en profiter pour faire avancer la vente de deux avions ravitailleurs A330 MRTT».

Autant de matériel utilisé par les militaires. Il est aussi question de satellites d’observation, d’EPR: n’en jetez plus, la hotte du père Valls est bien garnie.

Lire: Diplomatie française, l’obsession des contrats

«La France ne peut pas facilement ignorer un client comme l’Arabie saoudite, reconnaît France 24, avec son fort taux de chômage et sa croissance économique au ralenti, de gros contrats d’armes sont bienvenus pour booster l’économie française». D’autant que «Riyad est devenu l’année dernière le premier acheteur d’armes au monde, passant devant l’Inde, augmentant de 54,5% ses dépenses militaires à 5,8 milliards d’euros.»

Un «calendrier malheureux»
Mais cette visite soulève aussi des questions. Cette dernière étape du périple de Manuel Valls au Moyen-Orient, intervient deux jours seulement après la journée mondiale contre la peine de mort, ce qu’on appelle un «calendrier malheureux», souligne le Journal du dimanche. Le royaume a procédé à «130 exécutions depuis le mois d’août, contre 90 en 2014, loin d’une amélioration». Manuel Valls lui-même a récemment critiqué la décision de l’Arabie saoudite d’exécuter un jeune opposant chiite:

Le premier ministre français devrait solliciter la grâce du jeune homme, mineur lorsqu’il avait participé à des manifestations antigouvernementales, lorsqu’il rencontrera le roi Salman dans la journée. «Mais cette indignation a semblé moins vive dès l’annonce mi-septembre de la visite à Riyad», écrit la revue américaine de géopolitique en ligne worldpoliticsreview, qui détaille l’intensification de la relation franco-saoudienne depuis l’arrivée de François Hollande à l’Elysée en 2012: «Sur 39 visites bilatérales décomptées entre 1926 et 2014, 15 ont pris place entre fin 2012 et fin 2014.

Les ventes d’armes aux Saoudiens vont booster l’économie française, mais à quel coût ?
Dans le public en revanche, cette nouvelle visite a déclenché certaines critiques, qui le taxent d’hypocrite lorsqu’il défend un agenda fondé sur les droits de l’homme tout en maintenant des liens intimes avec la nation pétrolière réputée pour ses châtiments et ses exécutions publiques». L’industrie d’armement française a connu une hausse de 18% en 2014 et a presque doublé ses ventes durant les cinq premiers mois de 2015, rappelle le site, même avant la première visite des Saoudiens à Paris en juin. «Les ventes d’armes aux Saoudiens vont booster l’économie française, mais à quel coût?» Bien sûr, l’industrie militaire américaine ne voit pas d’un très bon œil les nouvelles performances de sa concurrente française.

«L’alliance entre la France et l’Arabie saoudite s’est renforcée ces dernières années, en même temps que la relation se refroidissait entre Riyad et Washington», note d’ailleurs placidement de son côté le New York Times… «On a effectivement l’impression qu’il existe un axe entre Paris et Riyad. La France est le bénéficiaire involontaire des relations de plus en plus difficiles entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis», analyse l’historien Jean-Paul Burdy, cité par RFI.

Même double discours en Grande-Bretagne
Alors? La France n’est pas le seul pays à expérimenter le double discours. Dans son blog hébergé par le Financial Times, David Allen Green raconte dans un article passionnant comment la Grande-Bretagne participe à la formation des policiers saoudiens, sans l’admettre publiquement. «L’Arabie saoudite, devenue premier acheteur d’armes du monde, est un «régime barbare», et le blogueur de revenir sur le cas d’un autre jeune homme, Dawoud al-Marhoon, également âgé de 17 ans lorsqu’il a été arrêté pour les mêmes faits, qui risque lui aussi la décapitation ou la crucifixion, dans une affaire moins médiatisée. La BBC de son côté raconte ce matin le calvaire de ce septuagénaire britannique qui vient de passer un an en prison après avoir été arrêté en possession de vin qu’il avait lui-même fabriqué chez lui, et qui risque de recevoir 360 coups de fouet – ce qui pourrait le tuer.

Sans même parler de cas individuels, l’Arabie saoudite est suspectée de crimes de guerres au Yémen, rappelle le site alternatif en ligne Basta, qui donne longuement la parole à Amnesty International. «L’Arabie saoudite est le plus gros client des fabricants d’armes français en termes de volume financier des contrats. A lui seul, le royaume saoudien a passé plus de 3 milliards d’euros de commandes en 2014. Entre 2013 et 2014, l’Arabie saoudite a par exemple importé ou commandé à la France des missiles anti-aériens, des canons, des missiles anti-chars ou encore des blindés.»

Des performances qui devraient donc encore «significativement» s’améliorer.
Source : Le Temps

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