lundi 27 février 2017

Zaya

MAJ de la page : Outreau / Pédocriminalité

ZAYA
Par Ceri, le 26 février 2017 - Donde vamos ?


Je reprends ici un article publié sur les blogs de Mediapart, par un connaisseur de l'affaire d'Outreau. Il faut le lire absolument. Ce récit, c'est celui d'un des meurtres d'enfants dans cette affaire, celui qui est le mieux exploré dans l'enquête. Il est très difficile à lire, mais ce sont bien les dépositions de Daniel Legrand, Myriam Badaoui et de deux de ses fils, qui hélas concordent. Tous décrivent le même scénario sans avoir pu se consulter.

La réponse qui a été donnée par les autorités est effrayante par sa simplicité: aucune disparition d'enfant correspondant à la description n'a été faite dans le même temps. Circulez....
Sauf que la réalité est sordide et elle est tenace. Les conséquences d'Outreau nous exploseront forcément à la figure parce qu'il y a trop de victimes, trop de coupables en liberté, trop de déni de la réalité.

* * *

ZAYA
Par Jacques Delivré, le 26 février 2017 - Mediapart

Prologue.

«Et, pour les punir, les dieux envoyèrent la Peste, qui s'abattit sur les Hommes et empoisonna leur cœur et leur âme.»

Voici une histoire qui s'est passée dans ton pays, et dont on parla beaucoup à l'époque. Puis, on oublia tout, car nous-mêmes sommes devenus des monstres oublieux, sourds et aveugles.                    
Si la langue des Hommes a été faite pour les tromper, tout ce qui est dit ici arriva comme cela est raconté, et les paroles sont véridiques.
Es-tu prêt à entendre cette histoire sans frémir?

Episode I.
[Déposition de] Daniel Legrand, fils :

« Je m'appelle Daniel Legrand. J'ai 20 ans. Je suis en prison depuis le 16 novembre 2001.

Aujourd'hui, c'est le 19 décembre 2001: on me sort de la prison et je suis au cabinet du Juge. Je fais des aveux complets, parce que je ne peux plus continuer à garder toutes ces choses pour moi. Je décide de tout dire pour libérer ma conscience.

Je voudrais m'excuser envers les victimes et envers la Justice parce que j'ai nié les faits au début.
Après avoir nié, je voudrais dire la vérité pour ne pas prendre pour les autres. Je préfère prendre ma part et ne pas prendre celle des autres.

Je reconnais m'être rendu plusieurs fois chez Myriam (Badaoui) et Thierry (Delay), à Outreau, dans leur appartement de la Tour du Renard. En tout, j'ai dû y aller dix ou quinze fois. J'allais chercher mon shit, mais on me donnait aussi de l'argent. Parfois, je filmais les viols avec la caméra de Thierry. J'étais payé pour ce qu'on me disait de faire. Je ne dis pas que je n'ai pas pris de plaisir, mais je repartais avec mon argent et j'étais content. C'est arrivé que Thierry me donnait des sommes entre 300 à 500 francs. Ça dépendait. Quand il me demandait de filmer, il me donnait un peu plus.

Sur les trombinoscopes que le juge me montre, je reconnais beaucoup de monde: Myriam et Thierry, bien sûr, et deux fils de Myriam. En tout, je reconnais sûr une dizaine d'enfants qui étaient là-bas souvent et qui se faisaient violer. J'identifie de façon certaine quatorze adultes que j'ai vus. Je connais le nom de quelques-uns, mais pas beaucoup. Il y a François Mourmand, qui est violent et me fait peur. Des adultes filmaient; je peux dire lesquels.

De retour en prison, je me dis qu'il y a d'autres choses encore plus graves dont je n'ai pas parlé au Juge, et à personne d'autre, sauf à un copain que je me suis fait ici, et en qui j'ai confiance. Je lui raconte tout, les viols et le meurtre. Il me dit que je ne peux pas garder ces choses pour moi: on risque de m'accuser de complicité de meurtre si quelqu'un d'autre parle. Je fais poster deux lettres que j'ai écrites par un type qui doit sortir. Une lettre à France 3, et une autre au Juge. C'est là que je parle pour la première fois du meurtre d'une petite fille, qui a eu lieu chez Myriam et Thierry, fin 1999. Je n'ai rien à cacher. Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était en octobre ou en novembre. Je le sais, parce qu'en septembre, j'avais eu des ennuis en Belgique à cause d'un chéquier que j'avais volé. La petite fille était venue là avec un vieux monsieur.

Je dis tout cela, parce que je ne peux plus cacher les choses.

Le Juge me convoque rapidement, et je sors de prison encore. Il me demande des détails. Je lui donne le plus de précisions possible, car je veux qu'on me croie.

Ce jour-là,Thierry revenait de Belgique avec un vieux monsieur d'une soixantaine d'années, qui ne portait ni lunettes, ni moustache. Il était assez grand, 1m80 peut-être, avec des cheveux gris un peu dégarnis. La petite fille qui était avec eux avait 5 ou 6 ans. Elle était brune avec des cheveux frisés, le teint bronzé. Elle était habillée d'un ensemble de pyjama de couleur bleu ciel. Elle avait de petites baskets blanches. Une petite culotte blanche. C'était la première fois que je la voyais. Il y avait encore des copains de Thierry qui étaient là. Ils étaient méchants et violents. Il y avait beaucoup de têtes que j'ai aperçues dans les albums du Juge. Il y avait François Mourmand. J'avais peur de François Mourmand. J'avais peur d'autres personnes qui étaient présentes mais pas toutes. Ça m'effrayait, moi. J'avais peur et je tenais à la vie. J'avais peur de l'agressivité des gens et qu'ils me fassent la peau.

Quand elle est arrivée, la petite fille était assez sale. Elle avait de la boue sur ses vêtements. D'après Thierry, elle est belge, comme le vieux monsieur. Thierry et le vieil homme sont arrivés dans une grosse voiture noire, un break, ou quelque chose comme ça. Je pense que la petite connaissait bien le vieux, car elle lui tenait toujours la main. Le vieil homme a déshabillé la petite et l'a pénétrée de son sexe. Thierry filmait. Le vieux était plutôt bien habillé; il avait un pantalon en toile noire avec des chaussures de couleur marron, je crois. Un caleçon. Il avait un pull dont je ne me souviens plus la couleur et une veste qui allait avec son pantalon. Je me souviens plus pour la chemise. Il avait retiré sa veste mais gardé son pull pour pénétrer la petite fille. Elle hurlait. Pendant le viol, Thierry filmait, mais ne supportait pas qu'elle hurle. Il a posé son caméscope par terre, s'est jeté sur la petite et l'a frappée avec ses mains au visage et sur la tête. Elle est devenue toute bleue. Elle saignait de la tête, près de l'oreille et un peu partout, du nez. Il l'a frappée tellement fort qu'elle est morte juste après. Après ce drame, il a débobiné la bande de la cassette et l'a détruit.

Le vieux s'est tapé l'embrouille avec Thierry. Ils étaient prêts à se battre, mais le vieux a laissé tomber car il voyait bien qu'il ne faisait pas le poids. Tout le monde pétait les plombs et Thierry s'acharnait sur tout le monde en disant de ne pas le dire et menaçait tout le monde de mort. Il me disait que j'avais intérêt à oublier ce que j'avais vu sans quoi sinon il m'aurait tué, il m'aurait fait la peau. Mais depuis, je ne dors plus avec ma conscience tranquille.

Quand c'est arrivé, Myriam a traité Thierry de tous les noms. Elle lui a dit: Qu'est-ce que t'as fait ? T'es pas cinglé ? Elle lui a dit aussi plein de gros mots, comme: gros bâtard, espèce d'enculé ! Thierry insultait pareil, mais commençait à réaliser ce qu'il avait fait. Thierry et Myriam ont enveloppé le corps de la petite fille dans un sac de couchage ou quelque chose comme ça, de plusieurs couleurs. Thierry et le vieux disaient d'attendre qu'il fasse bien nuit. Thierry disait qu'il connaissait un endroit pour apporter le corps.

Maintenant que je suis protégé par la Justice, je veux dire la vérité, pour que ça se sache. Je n'ai rien à cacher. Je le fais pour que tout le monde sache ce qu'ils ont fait. Je veux que les autres paient pour ce qu'ils ont fait, car ce n'était pas bien.

Bien sûr, je regrette. Je regrette, c'est sûr, je ne peux plus revenir en arrière, c'est fait c'est fait. Je m'excuse auprès des victimes, c'est clair. Des jours, tout ça, c'est pas facile, sinon ça va. A part cette histoire-là, je suis quelqu'un de bien, de super agréable».

Episode II.
[Déposition de] Myriam Badaoui :

«Je m'appelle Myriam Badaoui. J'ai 33 ans. Je suis en prison depuis février 2001. Je suis mariée à Thierry Delay. J'ai quatre fils : Kévin (Chérif), Dimitri, Jonathan et Dylan.

Je suis convoquée par le Juge, qui me lit la lettre qu'il a reçue de Daniel Legrand. Il me demande si cette histoire de meurtre est vraie. Il me demande des détails qui ne sont pas dans la lettre de Daniel.

Je lui réponds que c'est la vérité, que je n'ai plus rencontré Daniel Legrand depuis que je suis en prison, mais que je n'en ai pas parlé avant parce que j'avais peur. Daniel Legrand n'aurait pas parlé, je n'aurais pas parlé non plus. Je ne voulais pas parler pour protéger mes enfants. Maintenant j'ai peur de sortir. Je ne veux pas être libérée avant le procès. En prison, c'est mieux que chez moi.

Je raconte tout: J'étais attachée et je ne pouvais rien faire. Un monsieur belge et mon mari ont ramené une petite fille à la maison. Le monsieur belge était âgé d'une cinquantaine d'années peut-être. Il avait les cheveux à tirer sur le blanc et il était un peu dégarni sur le devant. Il était plus grand que moi qui mesure 1m58 et il n'était pas gros. Je ne pourrais pas dire si je connaissais la personne belge. Je ne sais pas si je l'ai déjà vue en Belgique. Il y avait un autre Belge car il parlait drôle avec le vieux. La petite fille était brune et avait la peau bronzée. Elle avait les cheveux crépus. Elle était habillée d'un jogging bleu ciel, un haut et un bas. Le bas était simple et le haut portait un petit lapin blanc. Elle portait des chaussures comme des tennis rouges avec des dessins fantaisie dessus, ou des chaussures avec des lacets rouges. Elle n'avait pas de boucles d'oreilles. Elle a été dans la chambre de Dimitri jouer un moment. Après, le monsieur l'a appelée et elle est venue. Elle s'appelait Zaya. Elle parlait avec le vieux une langue que je ne connaissais pas. Il lui a demandé de se déshabiller mais elle ne voulait pas. Elle s'est retournée vers moi et a dit: je veux voir ma maman. Elle pleure et elle a peur. Il l'a déshabillée avec mon mari. Mon mari lui a demandé de se mettre à quatre pattes sur le clic-clac. Elle ne voulait pas, alors mon mari l'a frappée. Il a sodomisé la petite fille. François Mourmand a également pénétré la petit fille par derrière. Il a essuyé son sexe avec un chiffon, parce que la petite fille saignait. Le monsieur a pénétré la petite fille et elle hurlait car elle en pouvait plus. Elle saignant au niveau du sexe et mon mari la frappait. Il y a des choses qu'elle ne voulait pas faire alors mon mari l'a rouée de coups et elle est tombée par terre. Mon mari lui a donné des coups de pieds. Mon mari a fait pipi dans sa bouche. Elle hurlait tellement que mon mari l'a rouée de coups au niveau du corps et de la tête. La petite fille ne bougeait plus. Elle était comme un pantin. Elle commençait à cracher du sang par le nez et par la bouche. Elle était comme morte. François Mourmand commençait à baliser et a dit: je n'y suis pour rien dans ce meurtre.

Mon mari m'avait menacé de ne jamais parler de ces faits et que si on en parlait, on pouvait tous y passer mes enfants et moi, qu'il était capable de tout et que ça ne lui faisait pas peur. Ça s'est passé chez nous à Outreau dans le salon. Il y avait du sang partout. Je n'ai pas voulu nettoyer. Je ne sais pas qui l'a fait. Mon mari avait des films de faits sur les viols, mais il a détruit les films. Mon mari était capable de tout. Il était fort violent. Il a pris un drap qui était à fleur avec des petites fleurs violettes dans l'armoire. Il a emmené le corps dans le drap. Il est parti avec François Mourmand et le vieux monsieur environ deux heures. Il est revenu tout seul. Je n'ai jamais revu le drap. C'était en 1999, mais je ne me souviens plus de la date. Je sais que ça s'est passé en soirée. Lorsqu'il est parti, Daniel Legrand fils était tout blanc, il n'était pas bien. Il n'avait même pas le droit de parler.

Je n'ai rien à rajouter à ce qui s'est passé. Je ne mens pas. Je ne vois pas pourquoi je me mettrais en prison moi-même.

Je voudrais dormir et ne plus me réveiller».

Episode III.
[Déposition de] Dimitri Delay :

« Je suis Dimitri Delay. J'ai 7 ans. Je suis le fils de Myriam Badaoui et de Thierry Delay. Je suis maintenant en famille d'accueil à Samer, mais à l'époque, j'allais en visite chez mes parents à Outreau. Je sais qu'il y avait une petite fille ce jour-là, mais je n'étais pas là quand ça s'est passé. J'étais enfermé dans ma chambre. C'est plutôt Jonathan qui a vu la petite fille».

[Déposition de] Jonathan Delay :

« Je m'appelle Jonathan Delay. J'ai 5 ans. Je suis le troisième fils de Myriam Badaoui. Je suis en famille d'accueil à Outreau chez ma tata. Quand j'allais chez mes parents, les adultes frappaient les enfants parce qu'ils ne voulaient pas faire de manières. J'ai vu la petite fille qui est morte. Il y avait plein de sang. Elle avait du sang sur la figure et aux jambes. Avant, elle marchait un peu, car elle avait 4 ans. Elle était arrivée avec un monsieur. Elle parlait français et une autre langue. Je me souviens plus de son nom. Mon père et le monsieur l'ont battue à mort. Il y avait ma mère et d'autres personnes. Ils l'ont battue parce qu'elle ne voulait pas faire de manières. Après, elle ne respirait plus. Elle était complètement morte.» «Je dis la vérité. Je n'ai jamais menti sur mon histoire.

Je suis une des filles de François Mourmand: «Je suis une des filles de François Mourmand, et je connais l'affaire, car mon père y était. Nous sommes maintenant en 2004, et je parle à la Police. A l'époque, je n'avais pas encore 10 ans, et je n'étais pas encore placée. J'allais souvent à la Tour du Renard avec mon père. Je me souviens de la petite fille, mais je ne la connaissais pas. Cette petite fille a été violée puis tuée. C'est mon père qui me l'a dit il y a longtemps. Moi, j'étais restée dans le camion, en bas de l'immeuble. En redescendant, mon père m'a dit: Il y a une fille qui est morte.»

Prosopopée [figure de style consistant à faire parler un mort] :

On m'appelait Zaya, j'avais 5 ans et je suis morte. C'est un monsieur qui m'avait amenée là, dans cet appartement. Il y avait d'autres gens, et des enfants. Je voulais jouer dans la chambre avec eux, mais des hommes ont voulu me violer. J'ai crié très fort. Je ne voulais pas. Ils m'ont frappée, plusieurs fois. Ils m'ont fait très mal. Je ne bougeais plus et tout le monde s'est mis à crier et à se disputer.Après, il y a eu un silence, et des voix qui chuchotaient. Ils m'ont crue morte et m'ont enroulée dans une couverture. Deux hommes m'ont transportée et ont descendu l'escalier, puis sont passés par la cave. C'était la nuit, il n'y avait personne dehors. La voiture attendait. Ils m'ont mis dans le coffre et l'homme a roulé quelques kilomètres. Il a creusé un trou et m'a placée dedans. C'est là que je suis morte, étouffée dans la terre. Quelques temps plus tard, on m'a déterrée et enroulé dans un filet de pêche. On a repris la route. J'étais à nouveau dans un coffre. On est arrivé au port où l'homme avait son bateau. Il m'a chargée dedans et a attaché deux parpaings en béton au filet de pêche. Au bout d'un moment, l'homme a jeté le filet avec moi dedans. C'est là que je suis maintenant, dans la mer.

Ou peut-être je suis dans un cimetière, cachée avec d'autres morts.
Je ne me souviens plus. C'était il y a longtemps.

Si j'avais vécu, aujourd'hui j'aurais 23 ans.

Epilogue.

Aucun corps de petite fille ne fut jamais retrouvé. L'affaire se termina par un non-lieu en 2003.

Myriam Badaoui, après ses paroles, avait déclaré quelques temps plus tard: «En fait, j'ai menti. Je suis une menteuse. J'ai tout inventé. Je ne connais pas Daniel Legrand. Je ne l'ai jamais vu. Il est innocent.» Après avoir changé de version plusieurs fois, elle dira la même chose à Rennes, lors du procès de Daniel Legrand en 2015: «Il n'était pas là. Il est innocent».

Daniel Legrand, plus tard aussi, de son côté: «Je ne suis jamais allé à Outreau. Je ne connais personne là-bas. Je ne connais pas Myriam Badaoui, ni Thierry Delay. Je ne sais rien. Je n'ai rien fait. Les autres sont aussi innocents que moi. J'ai paniqué avec toutes ces accusations sur moi. Il y avait trop de pressions. J'ai tout dit au hasard.»

Le Substitut Général B., présent à l'audience du 2 février 2002, avait déclaré : «Daniel Legrand a confirmé ce jour-là ses aveux de manière précise et notamment les viols avec une telle vérité qu'il était impossible de ne pas y croire.»

Après avoir nié pendant plusieurs années, Thierry Delay reconnaîtra les viols sur enfants lors du procès de Saint-Omer, en 2004, mais pas ce meurtre.

Quant aux enfants, leur parole n'a jamais varié.

Nous, nous avons tout oublié, et regardé ailleurs, car nous sommes devenus des monstres incrédules et oublieux, sourds et aveugles.

«Et la Peste s'abattit sur les Hommes et se propagea, empoisonnant leur cœur et leur âme.»

 

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