dimanche 10 décembre 2017

Allégeance de Washington à l’Etat-colon





Trump reconnait Jérusalem comme la capitale d'Israël  (6 déc. 2017)



Pascal Boniface, Transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem : une décision catastrophique (5 déc. 2017)


Allégeance de Washington à l’Etat-colon
Par Bruno Guigue, le 7 décembre 2017 - Le Grand soir

Donald Trump vient d’annoncer que les USA reconnaissent Jérusalem comme la capitale d’Israël et que l’État hébreu, en tant qu’État souverain, “a le droit de déterminer sa propre capitale”. Cette décision est un camouflet infligé au droit international par la première puissance mondiale. Colonisée et annexée par Israël, Jérusalem-Est est considérée par les Palestiniens comme la capitale de leur futur Etat. Pour l’ONU, c’est un territoire occupé en violation de la légalité internationale, comme l’affirmaient déjà les résolutions 242 et 338 du conseil de sécurité.

Mais cette décision est-elle vraiment une surprise ? Elle date de la campagne présidentielle de 2016, et Donald Trump n’en a jamais fait mystère. Boudé par Wall Street qui lui préférait Hillary Clinton, le candidat républicain voulait à tout prix allumer des contre-feux pour rattraper son retard. Il lui fallait obtenir des appuis auprès du lobby sioniste, au risque de voir la victoire lui échapper. Flairant le danger, Donald Trump s’est alors livré à son exercice favori : il a fait de la surenchère pour damer le pion à Hillary Clinton.

Invité à l’assemblée annuelle de l’AIPAC, le 21 mars 2016, Donald Trump fait l’impossible pour faire oublier ses déclarations antérieures. Il refusait de prendre position sur la question palestinienne tant qu’il ne serait pas à la Maison-Blanche. Il hésitait à dire si les États-Unis devaient reconnaître ou non Jérusalem comme capitale d’Israël. Il disait que l’Etat hébreu devait payer l’aide militaire octroyée par les USA. Désormais, c’est fini. En vingt minutes, il dit à son auditoire ce qu’il voulait entendre et il obtient des salves d’applaudissements. Debout, en “standing ovation”.

Il affirme qu’il est un “soutien de longue date et ami réel d’Israël”. Avec lui à la présidence des États-Unis, Israël ne sera plus traité “comme un citoyen de seconde zone” ! Interrogé le jour même par CNN, il déclare qu’il est prêt à déplacer l’ambassade US à Jérusalem. Manifestement décidé à faire mieux que Clinton, il accuse l’Iran d’être “le plus grand sponsor du terrorisme mondial”, d’établir en Syrie un nouveau front dans le Golan contre Israël, de fournir des armes sophistiquées au Hezbollah libanais, et de soutenir le Hamas et le Djihad islamique.

Mais ce discours complaisant n’a pas suffi. Délaissé par les siens, Trump sait qu’il manque de soutiens parmi les donateurs juifs du parti républicain. Ces bailleurs de fonds à l’ancienne, sponsors traditionnels du parti conservateur, sont rebutés par la rhétorique d’un candidat hostile au libre-échange et allergique au “système”. Ils préfèrent se tourner vers une candidate qui n’a jamais lésiné dans son soutien à Israël et au complexe militaro-industriel. Après tout, l’essentiel c’est le business. Pour Donald Trump, du coup, la tâche est rude. Afin d’inverser la tendance, il faut absolument faire quelque chose.

A neuf semaines du scrutin, le candidat républicain se résout à abattre sa dernière carte. Elle lui permettra, espère-t-il, de surpasser Hillary Clinton, de la prendre à revers sur son propre terrain. C’est alors qu’il rencontre publiquement Benyamin Nétanyahou, le 26 septembre 2016. A l’issue de cette entrevue, à New York, Trump promet de reconnaître Jérusalem comme “la capitale indivisible d’Israël” et d’y installer l’ambassade américaine s’il est élu à la présidence. Fabuleux cadeau à l’Etat d’Israël, violation du droit international, cette concession à l’occupant serait lourde de conséquences. Trump le sait. Mais il était difficile de faire mieux pour séduire le lobby.

Fin septembre 2016, la “future capitale de l’Etat palestinien” passe donc à la trappe. La “solution à deux Etats” fait les frais d’une course à l’échalote entre deux candidats qui ont rivalisé d’imagination pour flatter le lobby. Habiles marionnettistes, les amis de Nétanyahou ont manipulé les deux pantins désarticulés qui se disputaient un pouvoir fantoche. Vainqueur de cette compétition acharnée, Trump a décidé de balayer les illusions entretenues par ses prédécesseurs sur le rôle des USA. Il a emporté la mise le 8 novembre 2016. Nous sommes le 6 décembre 2017. Il aura mis un an à payer l’addition.

En reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, en y installant leur ambassade, les USA offrent au projet d’Etat palestinien un enterrement de première classe. Ils donnent eux-mêmes le coup de grâce à un “processus de paix” dont ils furent les parrains. “L’heure est venue”, a déclaré Donald Trump devant les chaînes de télévision le 6 décembre. L’heure était donc venue, pour Washington, de balayer tout espoir de paix. A la face du monde, le président américain vient de déclarer que la partie est finie. Quitte à décrédibiliser ses alliés arabes, il proclame que le fait accompli colonial en Palestine est irréversible.

Ruinant par avance toute perspective de négociation, ce geste spectaculaire trahit l’allégeance de Washington aux intérêts de l’Etat-colon. A quoi bon négocier si l’enjeu de la négociation (la possibilité d’un Etat palestinien ayant Jérusalem-Est pour capitale) est pulvérisé par Washington ? Paradoxalement, cette ultime reddition américaine aux exigences israéliennes sonne le glas d’une illusion à laquelle les autres puissances, occidentales ou arabes, feignaient de croire encore. Donald Trump vient de leur administrer une douche froide, en leur rappelant qui est le leader du “monde libre”.

Mais il y a plus. En validant la rhétorique israélienne sur “Jérusalem réunifiée”, le président américain restaure également la primauté du théologique sur le politique. Les prétentions sionistes sur la Ville sainte se réclament du texte biblique. En les accréditant, Trump réintroduit le sacré dans un conflit d’essence profane. Il percute le droit international avec le droit divin. Il masque d’un écran de fumée l’affrontement qui oppose l’occupant et l’occupé. Cette concession à la mythologie sioniste occulte la lutte de libération nationale du peuple palestinien. A une époque ou la manipulation du “religieux” sert l’impérialisme, ce n’est pas innocent.




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La reconnaissance par Trump de Jérusalem en tant que capitale israélienne suscite la colère et des protestations
Par Bill Van Auken, le 8 décembre 2017 - WSWS

Renversant sept décennies de politique américaine au Moyen-Orient, le président Donald Trump a prononcé un discours mercredi devant la Maison-Blanche reconnaissant Jérusalem comme capitale d'Israël et promettant que les États-Unis commenceraient à préparer le déménagement de leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, devenant ainsi la première nation au monde à agir de la sorte.
Cette décision a suscité une condamnation presque universelle de la part des alliés et des ennemis de Washington, ainsi que des manifestations palestiniennes dans la bande de Gaza et en Cisjordanie occupées par Israël, et dans d'autres régions du Moyen-Orient.

Dans un discours de 12 minutes, Trump a qualifié cette décision de «nouvelle approche au conflit entre Israël et les Palestiniens» et «d'un pas en avant pour faire avancer le processus de paix qui aurait dû être fait depuis longtemps».

En réalité, cette décision représente un feu vert au gouvernement israélien d'extrême droite du premier ministre Benjamin Nétanyahou pour accélérer l'expansion et la création de nouvelles colonies sionistes et intensifier le nettoyage ethnique des Palestiniens de Jérusalem-Est.
En même temps, le président américain a eu recours à son autoglorification habituelle, disant que si les précédents présidents avaient promis de déménager l'ambassade, ils avaient «manqué à leurs engagements». En suggérant qu’il s’agissait d’un manque de «courage», il a proclamé qu' «Aujourd’hui, je livre la marchandise.»

Au cours de sa campagne électorale de 2016, Trump avait promis de devenir le «président le plus pro-Israël» de l'histoire américaine et de déménager l'ambassade américaine à Jérusalem. Cela faisait partie d'un effort calculé de gagner le soutien des chrétiens évangéliques de droite ainsi qu'un secteur beaucoup moins nombreux, mais financièrement crucial parmi les sionistes de droite, le plus important étant le milliardaire propriétaire de casinos Sheldon Adelson, qui a versé 25 millions de dollars dans la campagne de Trump.

Dans des conditions où son gouvernement s’enfonce dans la crise, et les cotes de popularité de Trump tombent à des planchers records, l'annonce sur Jérusalem, tout en menaçant de déclencher une nouvelle série d'effusions de sang au Moyen-Orient et potentiellement au-delà, lui a permis sans trop d'effort de souder sa «base».

La décision aurait été rejetée à la fois par son secrétaire d'État, Rex Tillerson, et par le secrétaire à la Défense, le général James Mattis. L'action de Trump, cependant, n'était pas simplement – comme c'est largement caractérisé, particulièrement en Europe – un acte d'irresponsabilité ou même de folie. Au contraire, il est lié aux objectifs plus larges de l'impérialisme américain d'intensifier son intervention militaire au Moyen-Orient, notamment pour faire reculer l'influence iranienne à la suite des débâcles successives subies par Washington en Irak, en Libye et en Syrie.

Formellement, Trump a fondé sa décision sur Jérusalem à partir d’une loi promulguée en 1995, la soi-disant Jerusalem Embassy Act, qui fut approuvée avec un soutien bipartite écrasant. Cependant, la loi prévoyait une dérogation permettant au président des États-Unis de repousser le déménagement de l'ambassade américaine pour des raisons de sécurité nationale. Tous les présidents américains depuis Bill Clinton – y compris jusqu'à maintenant Trump – ont invoqué cette dérogation tous les six mois comme l'exige la loi.

L'action de Trump a été saluée par les principaux membres des deux partis au Congrès. «Jérusalem a été, et sera toujours, la capitale éternelle et indivisible de l'État d'Israël», a déclaré le président républicain de la Chambre des représentants, Paul Ryan, dans un communiqué.
Ben Cardin du Maryland, le principal démocrate à la commission sénatoriale des affaires étrangères, y a réagi: «Jérusalem est la capitale de l'État d'Israël et l'emplacement de l'ambassade des États-Unis devrait refléter ce fait.» Alors que certains démocrates ont exprimé des réserves sur le moment choisi par Trump, celles-ci ont été discréditées par le fait que, rien qu’en juin dernier, le Sénat américain avait approuvé, sans aucune voix d’opposition, une résolution réaffirmant la demande de transfert de l'ambassade à Jérusalem.

Cette politique bipartite représente une répudiation ouverte du droit international, approuvant l'annexion illégale de territoires par Israël, y compris la majeure partie de la ville actuelle de Jérusalem, qui a été occupée militairement pendant la guerre israélo-arabe de 1967. De telles annexions ont été déclarées illégales en vertu des Conventions de Genève adoptées à la suite de la Seconde Guerre mondiale pour empêcher la répétition d'actions similaires à celles menées par le régime nazi en Allemagne.

Des milliers de Palestiniens ont manifesté mercredi à Gaza en prévision du discours de Trump. Des manifestations ont également été signalées dans des écoles de Cisjordanie. Mercredi soir, un grand nombre de jeunes Palestiniens ont envahi les rues de la capitale jordanienne, Amman, l'un des principaux centres de réfugiés palestiniens. Tout en scandant «À bas l'Amérique! L'Amérique est la mère de la terreur!», ils ont appelé la monarchie hachémite du roi Abdoullah à rompre son traité de paix avec Israël. Les Palestiniens sont également descendus dans les rues à travers le Liban. Plusieurs centaines de manifestants se sont également rassemblés devant le consulat américain à Istanbul, lançant des pièces de monnaie et d'autres objets en direction du bâtiment.

Les organisations palestiniennes ont appelé à trois «Journées de la colère», culminant vendredi, lorsque les services religieux musulmans ont lieu. Les tentatives des forces de sécurité israéliennes d'empêcher les Palestiniens d'accéder à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem ont à plusieurs reprises servi à provoquer de violents affrontements. En 2000, une visite du site par le premier ministre Ariel Sharon avait provoqué une Intifada, ou insurrection palestinienne, et la violence a également été déclenchée en 2015 par les tentatives des colons sionistes de droite d'attaquer le site sacré islamique.
L’action de Trump a été vivement condamnée par les régimes arabes et les alliés de jadis de Washington en Europe occidentale.

Parmi les réactions les plus révélatrices, citons le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, qui a déclaré à la veille de l'annonce que la décision de Trump indiquait pourquoi l'alliance entre Washington et l'Europe commençait à «s'effondrer». Il a ajouté que la décision sur le statut de Jérusalem devait être l’aboutissement de «négociations directes entre les deux parties», et que «tout ce qui aggrave la crise est contre-productif». La décision de Trump a été invoquée par l'establishment allemand pour promouvoir le réarmement du pays et la poursuite plus agressive de ses intérêts de grande puissance sur la scène mondiale.

Interpellée par le Parlement au sujet de l'action de Trump, la première ministre britannique, Theresa May, l'a qualifiée d' «inutile» et a promis de parler au président américain à ce sujet. Le président français Emmanuel Macron a qualifié l’action américaine de «regrettable». Tous deux ont réaffirmé que le statut de Jérusalem ne pouvait être réglé que par des négociations entre Israéliens et Palestiniens.

La préoccupation principale des puissances européennes, des régimes arabes et de l'Autorité palestinienne basée à Ramallah est que l'action de Trump a une fois pour toutes coupé l'herbe sous le pied du soi-disant «processus de paix», une fiction diplomatique qui vasouille depuis plus d'un quart de siècle tandis que le régime israélien a progressivement étendu son emprise sur les territoires palestiniens occupés.

La perspective d'une «solution à deux États», que Trump a déclaré que les États-Unis soutiendraient «si les deux parties se mettent d'accord», a déjà été rejetée par les couches dirigeantes du gouvernement israélien et rendue irréalisable par l’empiétement continu et la division des terres palestiniennes en un patchwork de territoires non contigus. Cela n'a été que confirmé par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël, niant la position palestinienne que cette même ville serait la capitale de tout État palestinien.

Les régimes bourgeois arabes monarchiques, autocratiques et dictatoriaux, qui avaient tous été consultés à l'avance par le gouvernement Trump, ont condamné publiquement, pour la forme, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël.
Le dictateur égyptien, le général Abdel Fattah al-Sissi, a averti que les actions de Trump «mineraient les chances de paix au Moyen-Orient».
De même, le roi saoudien Salman a déclaré que la décision sur Jérusalem «nuirait aux pourparlers de paix et augmenterait les tensions dans la région».
Selon de nombreux reportages, Mohammed ben Salman, le prince héritier saoudien et futur roi, a convoqué le mois dernier le chef de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Riyad pour l'informer des conditions de Trump et lui ordonner de les accepter sous peine de perdre le financement saoudien.
Suite au discours de Trump, Abbas a publié une réponse enregistrée avertissant que, en conséquence des actions du président américain, «les groupes extrémistes qui tentent de transformer le conflit dans notre région en une guerre religieuse, entraîneront la région [...] dans des conflits internationaux et des guerres sans fin».

Le chef de l'Autorité palestinienne, qui agit en tant que force de sécurité complémentaire pour l'occupation israélienne et un moyen d'enrichissement pour une mince couche de la bourgeoisie palestinienne, est préoccupé par le fait que le sabordage par Trump de toute prétention que les questions fondamentales du conflit israélo-palestinien seront réglées à travers des négociations, rend sa position intenable.

Cet appel pathétique ne trouvera aucune sympathie à Washington. La possibilité que cette provocation sur Jérusalem alimente le terrorisme islamiste est sans doute déjà prise en compte dans les calculs de Washington. Les attaques terroristes servent de prétextes utiles à la guerre à l'étranger et à la répression au pays.

En même temps, le gouvernement Trump calcule manifestement que l'Arabie saoudite, les autres monarchies pétrolières du Golfe et les régimes sunnites autocratiques de la région ne laisseront aucune inquiétude sur le sort des Palestiniens interférer avec leur détermination à cimenter un axe anti-Iran avec les États-Unis et Israël.

Le premier ministre israélien Nétanyahou a diffusé sa propre déclaration enregistrée, saluant l'initiative des États-Unis de la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d'Israël comme étant «historique» et louant Trump pour sa «décision courageuse».
La réalité, cependant, est que cette reconnaissance représente un clou de plus dans le cercueil de la soi-disant «solution à deux États», dissipant ainsi toute illusion persistante selon laquelle la fin de l'oppression des masses palestiniennes se fera par des accords diplomatiques et négociations entre l'impérialisme et les régimes bourgeois arabes. La seule option qui reste est celle de la lutte révolutionnaire, unissant les travailleurs arabes et juifs dans une lutte commune pour une solution socialiste aux fléaux de la guerre, de l'inégalité et de l'exploitation produits par le système capitaliste.
(Article paru en anglais le 7 décembre 2017)

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